Méridien de Greenwich

 

La petite histoire du méridien d’origine à Ibos

(par Rémi Cabanac)

Que de légendes ne nous a-t-on contées sur le méridien de Greenwich à Ibos? Il passerait entre les clochers de la Collégiale, voire même par le clocher fortifié de son parvis. Une petite histoire moqueuse raconte que le conseil municipal d’Ibos aurait chaudement discuté de la venue du méridien de Greenwich à Ibos à la fin du siècle dernier pour conclure qu’il acceptait sa venue, mais qu’en aucun cas il ne paierait pour son entretien!

Alors qu’en est-il exactement ?

Tout d’abord, pour lever le doute d’entrée, sachez que le méridien de Greenwich ne passe ni par la Collégiale, ni par le centre commercial. Il traverse Ibos en passant (fortuitement?) par la croix de fer érigée en 1895 à la patte d’oie de la rue du Mardaing et de la rue de l’Industrie.

Vue aérienne d’Ibos avec le tracé du méridien de Greenwich historique (ligne pointillée rouge) et le tracé du méridien d’origine contemporain (ligne jaune), référence GPS contemporaine.

Quand a-t-il été choisi comme méridien de référence ?

Au XIXe siècle, les lignes de chemin de fer traversant les grands espaces canadiens (Canadian Pacific) et russes (Orient Express) se devaient d’utiliser un système de fuseau horaire unifié pour éviter une cacophonie d’horaires. Un ingénieur canadien eut donc l’idée de lancer une conférence internationale à Washington en 1884 pour décider une fois pour toute des fuseaux horaires et de la référence horaire internationale, c’est-à-dire du méridien de référence. La position de ce méridien de référence étant purement arbitraire chaque état européen avait naturellement adopté une référence passant par son observatoire national, il y avait donc autant de références possibles que de capitales européennes. Trois choix, cependant, semblaient davantage naturels: le méridien d’origine mythique passant par les Iles Canaries (El Hierro), le méridien de Paris qui avait servit à établir le système métrique, et le méridien de Greenwich, référence de la grande puissance navale de l’époque. Les tractations acrimonieuses entre délégations aboutirent finalement au choix du méridien de Greenwich avec la promesse de la délégation anglaise d’adopter le système métrique comme système d’unité (promesse tenue avec 86 ans de retard par la Grande Bretagne). Les français ronchonnèrent longtemps eux-aussi avant d’accepter le méridien de Greenwich du bout des lèvres (1891 pour une redéfinition de l’heure zéro, 1897 pour un projet de loi, 1911 pour son vote par l’Assemblée Nationale! Et encore sans mentionner le méridien de Greenwich dans la loi… L’heure légale étant définie comme celle de l’Observatoire de Paris – 9min21s.)

Dernier jalon de notre petite histoire, pourquoi le méridien de Greenwich a-t-il perdu aujourd’hui son statut de méridien d’origine ?

L’explication se trouve dans la définition du premier système GPS (réseau TRANSIT en 1970) dont le géoïde de référence (NAD27, North American Datum 1927) est légèrement décalé du centre de la Terre. Ce système a été adopté internationalement (International Earth Rotation and Reference Systems) et est remis à jour régulièrement, le géoïde actuel (WGS84, World Geodetic System 1984) est précis au millimètre. Toujours est-il que lorsque les experts ont voulu vérifier la référence de ce système sur Greenwich, ils se sont aperçus que leur méridien d’origine passaient 5,3 seconde d’arc plus à l’est du méridien historique, c’est-à-dire environ 102,4m. Il a été décidé de garder ce nouveau méridien d’origine à la place du méridien de Greenwich historique. Gageons que cette décision n’a pas du faire beaucoup de peine à l’IERS dont le groupe maintenant les références se trouve… à Paris!

D’où vient le méridien de Greenwich ?

Il faut remonter très loin dans l’histoire de la civilisation occidentale aux premiers penseurs grecs (Diocéarque, Mirinos de Tyr, Hipparque, Ptolémée entre IVe avant et Ier siècle ap JC) pour voir les premières tentatives de codifier la position du monde connu par un système de coordonnées sphérique suivant des lignes est-ouest (les parallèles) et nord-sud (les méridiens). Ptolémée dans sa Géographie place son méridien d’origine vers les Iles Canaries ou les Iles du Cap Vert, de façon à ce que la totalité du monde connu se situe d’un même côté de cette origine. Ptolémée calcule aussi une circonférence de 33000km à la Terre (Il savait évidemment que la terre était ronde comme tous les savants et navigateurs à sa suite!) Cette valeur restera la référence jusqu’au XVe siècle et expliquera les tentatives des explorateurs de rejoindre la Chine par l’ouest et leur méprise à la découverte des Amériques (Les Indes pensaient-ils !).

Les premières explorations navales de l’Europe du XVIe au XVIIIe siècle exigent des moyens de plus en plus précis pour identifier les nouveaux territoires connus et les positions des navires en pleine mer. Si la latitude se calcule facilement à partir des étoiles et du soleil, la longitude (méridien d’un lieu) demande des références à la fois temporelles et spatiales, en clair, une bonne montre et une bonne table d’éphémérides astronomiques. Cette double exigence fut un des puissants moteurs à la création des académies royales et à l’instauration de concours prestigieux à l’échelle Européenne visant à calculer la longitude d’un lieu avec précision (par exemple le Longitude Act de 1714 du parlement anglais offre 20 000 £, c’est-à-dire plusieurs millions d’euros, pour une telle prouesse. Concours remporté par le génial horloger John Harrisson en 1736 qui permit de calculer la longitude à ~1 minute d’arc près.) Les progrès des connaissances scientifiques au XVIIe et XVIIIe siècle affinent aussi notre connaissance de la Terre. Une grande controverse agite le monde des naturalistes, la Terre est-elle aplatie du nord-sud comme l’affirme Newton, ou au contraire allongée comme l’affirme l’astronome Français Cassini? Pour répondre à cette question des expéditions scientifiques sont lancées par l’académie des sciences pour mesurer la longueur physique d’un degré de méridien au nord (Maupertuy en Lapponie 1736) et sur l’équateur (La Condamine au Pérou 1735). Ces expéditions connaissent bien des péripéties mais finissent par résoudre la question, un degré au Nord est plus long qu’un degré à la latitude de Paris, lui-même plus long qu’un degré sur l’équateur. La Terre est donc bien aplatie !